vendredi 9 mai 2008



La spectatrice au pied du mur

« Moi, Richard, je renonce à l’image »
Philippe Malone, III (2007)

Au détour d’un café au « Chérie » de Belleville, entre le roi des slammers et son gros clebs noir au collier clouté trônant majestueusement sur un fauteuil club éventré, Philippe Malone (auteur, entre autres, de Pasarán, Titsa, L’Extraordinaire tranquillité des choses, Morituri, L’Entretien, III) m’a raconté une belle histoire. Belle et cruelle à la fois. Une histoire qu’il a puisée dans le quotidien de ce quartier de la capitale auquel il voue une véritable passion, tout comme son voisin Daniel Pennac. Une histoire qui s’est glissée naturellement dans notre conversation de théâtreux.

Il était une fois une vieille dame qui faisait la manche dans la station de métro de Belleville. Elle était là tous les jours, assise au même endroit exactement, au pied du même mur, silencieuse et immobile, la main tendue. Les gens la frôlaient sans s’arrêter, sans la voir. Ils passaient et repassaient, elle restait. Invisible, elle était pourtant là, à regarder la comédie humaine qui se jouait en sous-terrain, inlassable témoin des entrées et sorties des habitués comme des voyageurs occasionnels ou égarés, de la routine comme des incidents de parcours et micro-drames impromptus.


Un jour, elle n’a plus été là. Son absence dessinait en creux une forme blanche sur le mur souillé de pisse et de crasse auquel elle s’était si longtemps adossée, un clair-obscur insolite dans ce théâtre d’ombres improvisé. Et les gens de s’arrêter désormais pour contempler cette lumineuse métaphore du vide, cette transfiguration du banal.


La scène du métro s’est ainsi subitement retrouvée orpheline, en deuil d’un regard rassurant parce que structurant. Spectatrice marginale, la vieille dame faisait fonction de miroir, renvoyant obliquement aux passants leur propre reflet. Dans ses yeux, ils lisaient, plus que la détresse, la confirmation qu’ils étaient encore dans le coup, dans l’action, bref, du bon côté de la vie.

Par-delà la rupture de cette parodie de contrat de spectacle, c’est le contrat social qui se trouve ébranlé. La disparition de la vieille dame consacre l’effondrement du « quatrième mur », forçant la rencontre entre le monde réel et celui de l’illusion. Qui de ces voyageurs en transit se trouvera demain au pied du mur ? Pour ces passants à la dérive, brutalement confrontés à leur propre disparition, quelle est la prochaine station après Belleville ? C’est ce qu’ils tentent de lire, impuissants, dans l’empreinte anonyme, testament d’humanité.

photo unjouraparis.com

Depuis, dans les textes de Philippe Malone, il arrive souvent que des personnages perdent leur ombre…


5 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est simplement une réflexion de petit bourgeois qui culpabilise de n'avoir rien fait et qui intellectualise pour faire comme si il assurait, lui, une trace à cette pauvre vieille, une trace de mémoire qui se retrouve ainsi sur un blog intello. Au lieu d'intellectualiser, il aurait dû, comme nous tous au demeurant, briser le voile lui-même, passer de l'autre côté, la prendre par la main et tenter quelque chose. Vous nous avez habitués à mieux sur votre blog, Florence !

Anonyme a dit…

et j'oubliais la citation qui tue en ouverture... Gregory Lemarchal. j'ai dû me pincer et aller voir sur google qu'il n'y avait pas un spécialiste du théatre elsabetain qui ne portait pas ce même nom... Mais non ! Damned.

Florence March a dit…

Je regrette que ce texte ne soit pas à la hauteur de vos espérances. Toutefois, n'y a t-il pas une contradiction dans vos deux commentaires qui soulignent pour l'un une intellectualisation du fait divers et pour l'autre l'incongruité d'une citation qui ne vous semble pas assez intellectuelle ? Mon propos visait simplement à relever le rôle du regard dans cette dialectique de la présence et de l'absence, loin de tout voyeurisme et de tout intellectualisme, comme l'indique dès le début la référence au chanteur.

Anonyme a dit…

entre gregory lemarchal et l'intellectualisme, il y a une foultitude de nuances ! mais bon, c'était un peu de provoc qui a fonctionné, c'est tout.

pour le reste, on peut contester la fonction miroir de la vieille dame car tous pensent être à l'abri des malheurs de la vie. Si elle était là, c'est sans doute car elle le méritait, fainéante, malchanceuse ou autre. Moi, ca ne pourrait pas m'arriver, pense tout le monde. cette dialectique se heurte à l'égoisme, non ?

Anonyme a dit…

Comme d'habitude Florence, vous repoussez les frontières et c'est tant mieux. Y compris pour ceux qui oublient que la culture et vivante, qu'elle circule, qu'elle est histoire d'émotions et en ce sens Grégory Lemarchal mérite d'être convoqué au même titre que toute émotion sincère... Cela ne s'appelle pas de la provocation, mais du dédouanement et votre liberté est exemplaire.