lundi 23 août 2010


Georges Banu, Shakespeare : métaphores et pratiques du théâtre, coll. Entre-vues, Editions Universitaires d'Avignon, juin 2010

Introduction de Florence March :

Cette Leçon du professeur Georges Banu, essayiste, auteur de Shakespeare, Le monde est une scène (Gallimard nrf, 2009), invite à une exploration des références au théâtre qui parcourent l'œuvre dramatique du grand Élisabéthain. D'allusions dispersées en métaphores filées, dans les comédies, les tragédies comme les pièces historiques, un vaste réseau se constitue pour donner une vision plurielle et ambiguë du théâtre et, au-delà, de la vie.

Le travail pionnier de Georges Banu vient sans nul doute combler une lacune dans le domaine des études shakespeariennes. Personne ne s'était encore livré à un repérage exhaustif de ces références métathéâtrales disséminées dans l'ensemble des textes de Shakespeare écrits pour la scène. Pour chacune d'elles, Georges Banu se livre à un commentaire ponctuel tout en procédant à un regroupement thématique qui permet une mise en perspective féconde. Tantôt complémentaires, tantôt contradictoires, elles rendent compte de la complexité de l'art théâtral qui se fonde sur la dialectique de l'identification et de la distanciation, de l'illusion et de la dénégation, ainsi que de son hétérogénéité. Point de rencontre de la littérature et de la scène, à la lisière de l'art et de la vie, le théâtre résiste en effet à toute entreprise de définition stricte, à toute tentative de catégorisation systématique. L'œuvre dramatique de Shakespeare parvient à donner une vision cohérente du théâtre, de ses pratiques et des métaphores qu'il inspire, sans jamais gommer les tensions qui le sous-tendent, l'ambiguïté qui en résulte, l'extrême vitalité dont elles témoignent. C'est probablement l'articulation habile de points de vue singuliers en un réseau signifiant et dynamique qui conduit Georges Banu à émettre ironiquement l'hypothèse que le nom de Shakespeare désigne une coopérative d'auteurs et d'artistes.

Bien souvent, les références au théâtre qui imprègnent les pièces de Shakespeare renvoient à la vie dans un jeu de miroirs baroque. La métaphore du théâtre du monde n'est pas nouvelle à l'époque élisabéthaine, loin s'en faut. L'expression theatrum mundi apparaît pour la première fois dans la littérature européenne au XIIe siècle sous la plume de l'humaniste anglais John of Salisbury (Policratius, 1159). Mais l’idée du parallèle entre la vie et la représentation théâtrale remonte à l’Antiquité. Les comédies d’Aristophane se caractérisent déjà par un brouillage de la frontière entre les deux, préparant le développement de la métaphore dans la Comédie Nouvelle de Ménandre, puis chez les Latins qui s’en inspirent, tels Plaute et Térence. Le topos disparaît durant la majeure partie du Moyen-Âge : pourtant connu des érudits qui lisent les textes anciens, il n’a peut-être pas la même portée pour eux qui n’ont jamais vu de représentation dans un théâtre mais sur des parvis d’église ou des tréteaux de foire. Il recommence cependant à être exploité à la fin du Moyen-Âge, dans le poème épique d’Alighieri Dante La Divine comédie (1300-18) par exemple, pour revenir en force à la Renaissance. Shakespeare reconnaît sa dette envers les Anciens en empruntant à Pétrone la devise qu’il fait graver au fronton du théâtre du Globe : « Totus mundus agit histrionem », tout le monde joue la comédie. Toutefois, dans le contexte socio-historique de la Renaissance qui voit le développement d'une conception machiavélienne de la politique basée sur la mise en scène du pouvoir, prémices de la société du spectacle contemporaine, la métaphore du théâtre du monde fait l'objet d'une resémantisation. Alors que la classe dirigeante s'approprie ouvertement les codes et les artifices théâtraux, affirmant sa nature histrionique, l'écart entre l'art et la vie diminue, tendant à actualiser ce qui jusque-là appartenait au domaine de la métaphore : le monde devient théâtre, et la vie, représentation. La Renaissance confère ainsi à la conception du monde comme théâtre une signification particulière, réduisant la portée métaphysique d'un grand théâtre universel où les hommes joueraient sous le regard du Démiurge suprême, et interrogeant d'une certaine manière sa fonction métaphorique.

Il est frappant de constater les nombreux rapprochements que Georges Banu opère entre les références métathéâtrales shakespeariennes et les esthétiques de la scène contemporaine. La convocation de plus en plus fréquente des nouvelles technologies sur le plateau permet de revisiter sur un tout autre mode la notion d'ubiquité du théâtre. La mise en scène des Tragédies romaines par Ivo van Hove au Festival d'Avignon 2008 montre que ces pièces qui dramatisent les rapports entre théâtre et politique, entre théâtre et vie de la cité, se prêtent particulièrement bien à de nouvelles configurations de la notion de théâtre du monde. La multiplicité des écrans de télévision sur le plateau, le recours à l'internet, à la caméra vidéo, permettent de faire pénétrer le monde extérieur dans l’enceinte du bâtiment théâtral et inversement d'exporter la fiction et le jeu dans la rue. Le parti pris dramaturgique et esthétique d'Ivo van Hove fait voler en éclats les frontières du bâtiment, confrontant les artistes et le public à une actualisation de la métaphore baroque du théâtre du monde. Pour Georges Banu, cette actualisation s'avère d'autant plus subtile qu'elle ne consiste pas simplement à vêtir les acteurs de costumes contemporains mais à recréer, à travers le dispositif scénique, le rapport que l'on entretient aujourd'hui avec les héros du monde.

J'achèverai ces quelques mots d'introduction en rapportant une anecdote qui exprime mieux que je ne saurais le faire le plaisir du public réuni pour partager cette Leçon menée avec humour et brio. Parmi les auditeurs, Joanna, dix ans, a tout suivi avec beaucoup d'attention. À la fin, la fillette se lève et glisse tranquillement à son père : « si un jour je vais à l'université, je voudrais avoir un professeur comme lui ! ». Peut-être retrouverons-nous Joanna sur les bancs de nos amphithéâtres dans quelques années. Au-delà de l'hommage spontané rendu à Georges Banu, cette petite histoire souligne le rôle essentiel de la réflexion sur les origines du théâtre moderne pour mieux en cerner les enjeux contemporains.

mardi 13 juillet 2010

Participation au film "Les jeux de mots"

Un film sur les processus de création à l'oeuvre dans Un mage en été, texte d'Olivier Cadiot, mise en scène de Ludovic Lagarde pour le Festival d'Avignon (Opéra-Théâtre, du 21 au 27 juillet 2010).

Merci à Manuelle Blanc, la Comédie de Reims, la Compagnie des Indes !

 

dimanche 9 mai 2010

Centre National des Ecritures du Spectacle

Sonde 04#10 Code - Traduction (27-29 avril 2010)

http://www.selfworld.net/room_medias/20

Synthèse F March:

1) Contours et redéfinition de la notion de "traduction" dans le cadre de cette sonde

2) quart d'heure syndical : du hiatus entre
- le discours de la Délégation Générale à la Langue Française et aux Langues de France (DGLFLF), service rattaché au Ministère de la Culture qui a pour mission d’animer à l’échelon interministériel, la politique linguistique de la France,
- et les réformes actuelles dans le domaine des Langues vivantes mises en oeuvre par le Ministère de l'Education Nationale et le Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche.

3) Shakespeare s'invite à la sonde
Pourquoi Shakespeare n'aurait probablement pas été réfractaire à la texto-langue...

jeudi 8 avril 2010

Shakespeare at the Festival d'Avignon : the poetics of adaptation

Publication en ligne avec extraits vidéo des captations des spectacles :

http://licorne.edel.univ-poitiers.fr/document.php?id=4739

Cette publication fait suite à une communication donnée lors du Congrès International de la British Shakespeare Association à King's College / The Globe, Londres, en septembre 2009.

Références de l'article :
Florence March, "Shakespeare at the Festival d'Avignon: the Poetics of Adaptation of L. Lagarde (Richard III, 2007), T. Ostermeier (Hamlet, 2008) and I. van Hove (The Roman Tragedies, 2008)", Les Cahiers de La Licorne, Les Cahiers Shakespeare en devenir – The Journal of Shakespearean Afterlives, "L'Œil du spectateur 2009-2010", dir. Pascale Drouet, 2010,
http://licorne.edel.univ-poitiers.fr/document.php?id=4739

Merci à l'équipe du Festival d'Avignon, à la Compagnie des Indes, au Toneelgroep d'Amsterdam, à Ludovic Lagarde et la Comédie de Reims pour leur aide et leur aimable autorisation de reproduire ces images.

jeudi 25 mars 2010

A paraître le 25 mai 2010

Loin de se présenter comme une leçon de théâtre, Un théâtre pour quoi faire articule discours artistique et discours scientifique, mettant en regard un essai critique et une série d'entretiens qui campent et commentent l'univers artistique de Ludovic Lagarde : les épiphanies théâtrales qui ont jalonné son parcours de metteur en scène, sa collaboration avec l'écrivain Olivier Cadiot, sa relation particulière à l'image et au son, en passant par la question centrale de la transmission et son engagement politique au service du théâtre.

mercredi 2 septembre 2009


Histoire du Théâtre anglais de la
Renaissance aux Lumières

http://e-ressources.univ-avignon.fr/theatreanglais/

Cours en ligne publié par Florence March, Maître de Conférence
s en Théâtre Anglophone à l'Université d'Avignon et des Pays de Vaucluse.

Thalie, muse de la comédie (1739), Jean-Marc Nattier

Ce cours interactif s'adresse aux étudiants de 1er cycle (Licence), qu'il se propose d'initier à la production dramatique et théorique, ainsi qu'aux pratiques théâtrales, du côté de la scène comme de la salle, en Angleterre, du XVIe au XVIIIe siècle.

http://e-ressources.univ-avignon.fr : Ce site est un portail de cours en ligne, accessibles gratuitement. Les ressources pédagogiques ont été développées et scénarisées par la mission TICE de l'Université d'Avignon.


lundi 27 juillet 2009



Réinventer le protocole de la fin (2)


À Gilbert David et Florent Siaud


Fidèle à l’esprit du texte de Thomas Berhard, Une Fête pour Boris, la mise en scène de Denis Marleau pousse le cynisme jusqu’à récupérer le protocole des applaudissements pour l’intégrer à la dramaturgie de la manipulation.


Immobilisée dans son fauteuil roulant, la Bonne Dame instrumentalise tour à tour sa dame de compagnie Johanna et son mari Boris, cul-de-jatte également. En véritable marionnettiste, elle décide de leurs moindres faits et gestes, tirant les ficelles sans complaisance, ordonnant régulièrement l’ouverture et la fermeture du rideau qui partage la scène en deux. Tant et si bien que Johanna finit par disparaître du plateau, remplacée par une petite poupée à son effigie que la Bonne Dame garde à portée de main. Ce processus de marionnettisation débouche logiquement sur la mise en scène de treize pantins, auxquels on tente paradoxalement de donner figure humaine en projetant sur leur masque, moulé sur le visage d’un acteur, des images vidéo de ce même visage. Il s’agit de plaquer du vivant sur de la mécanique, en inversant la formule de Bergson. Le rire provoqué n’en est que plus grinçant.



À la fin de la générale, des applaudissements nourris saluent la performance des comédiens ayant quitté leur fauteuil roulant, jusqu’à ce que le praticable des automates s’avance à son tour. Comme l’année précédente à la fin du spectacle Stifters Dinge d’Heiner Goebbels, lorsque les pianos ont lentement glissé à la rencontre du public, on perçoit soudain un flottement dans la salle, une onde d’incertitude qui se propage rangée après rangée, une hésitation qui ricoche de siège en siège. Le spectateur se trouve brutalement pris dans la dialectique de l’humain et de la marionnette à l’œuvre durant toute la pièce, qui déborde du cadre de la représentation pour en contaminer les marges, la périphérie. Au-delà des pantins, qui applaudit-on ? La prouesse technique ? Quel sens donner à un geste dont on ignore à qui il s’adresse ? L’usage finit par l’emporter, mais l’assemblée bat des mains sans conviction, mécaniquement, reflet des automates alignés sur les gradins qui lui font face. En transformant les spectateurs en marionnettes, Marleau réussit le pari de déplacer la tension de la scène vers la salle. Alors que les masques tombent sur le plateau, l’illusionniste se retourne vers le public qu’il manipule, rechignant à mettre un terme à son art. En mailles métalliques, le rideau qui scinde l’aire de jeu prend alors tout son sens, signe d’une théâtralité envahissante, d’une représentation piège qui se referme sur un public prisonnier des codes.


Les représentations suivantes prennent le parti de modifier les choses. Les pantins réagissent aux applaudissements du public, battent des mains à leur tour et crient « merci », stimulant les spectateurs enthousiastes qui redoublent leurs bravos et les saluent avec plus d’énergie encore que les acteurs. Un échange s’instaure sur le mode ludique, une connivence s’établit entre les marionnettes qui se donnent pour telles et le public qui se prête de bonne grâce cette fois au jeu qu’on lui propose. Clin d’œil réciproque, le protocole de la fin renonce à prolonger la logique cynique du texte. Bien que toujours inscrit dans le processus dramaturgique, il se propose au contraire de réconcilier les termes de la dialectique.

Au fil des représentations, artistes et spectateurs ont ainsi réinventé ensemble le protocole de la fin, prouvant, si nécessaire, qu’il s’agit bien là de spectacle vivant.